L’arbre aux mauvaises poires…

ou comment réapprendre le circuit court, de l’arbre à l’assiette !

Il n’est pas rare de rencontrer des propriétaires qui vous parlent de leur poirier, qui en fleurs et certes très beau, très fertile car il porte de très nombreux fruits… mais ces fruits sont immangeables ! Chose curieuse, imaginer un pépiniériste qui multiplie des arbres dont le fruit est fade et un amateur de fruits qui garde durant des décennies ce sujet dans son jardin… Il faut croire que quelque chose nous échappe.
Il est impossible que pendant des siècles, on reproduise une variété sans mérite gustatif. Lire des ouvrages de pomologie ancienne avec les descriptions de fruits vous ferait d’ailleurs certainement saliver…

« Y a-t-il quelque part en Wallonie, au Luxembourg, une ferme, possédant un fruitier, c’est-à-dire une pièce qui permet de conserver des fruits selon les règles ancestrales ? »

Les pomologues d’hier et d’aujourd’hui savent d’écrire un fruit, au niveau de sa forme, de ses imensions et de ses couleurs et, bien sûr, d’un point de vue gustatif. En voici un exemple de la poire « Professeur Bazin » décrite par Charles Baltet dans son ouvrage « Les bonnes poires » : « Fruit gros, souvent très gros, de forme pyramidale ventru, renflé au centre ; épiderme vert d’eau passant au jaune citron, agrémenté de nuances fauves et de marbrures grenat mordoré ; chaire fine et fondante, juteuse, sucrée, relevée d’un parfum délicat ; en somme fruit exquis, mûrissant dans le courant de décembre jusqu’en janvier (…) ».
Nous voilà, sans nul doute, en face d’une poire excellente. Voyons le cheminement de ce fruit, du moment où sa fleur connaît l’amour jusqu’à sa dégustation. Il est certain que, pour la grande majorité des fruits, une bonne pollinisation est nécessaire pour qu’ils se développent correctement. Ensuite, le fruit augmente en taille pour atteindre ses dimensions correspondantes à la variété. L’ensoleillement va le colorer et lui donner son teint unique. Mais à ce moment, il n’est pas encore mangeable et peut être dure ou fade.
Comme toutes les pommes et les poires de conservation, il doit mûrir comme un whisky ou un fromage. Processus bien connu avant l’apparition des premiers frigos, mais presque totalement abandonné depuis.
Il y a-t-il quelque part en Wallonie, au Luxembourg, une ferme, possédant un fruitier, c’est-à-dire une pièce qui permet de conserver des fruits selon les règles ancestrales ?
Mais à quel critère doit correspondre ce fruitier ? D’abord il faut de l’obscurité, les rayons du soleil n’y ont pas leur place. Ensuite il faut une température entre 9° et 12°, un taux d’humidité autour de 90% et pour compliquer l’affaire, la pièce doit être ventilée… Autant dire un cas de figure impossible dans une maison de l’après-guerre.
L’idéal est une cave ancienne, non chauffée et hors gel. L’humidité peut-être obtenue par l’épandage de sable humide, qui est arrosé selon les besoins. Pour parfaire le tout, l’installation d’un ventilateur (solaire) qui extrait l’air et le tour est joué.
Il suffit d’installer des étagères ou clayettes en bois dur pour y ranger les fruits soigneusement. Les étagères aux tablettes inclinées facilitent la surveillance et l’élimination des fruits gâtés.
Le poirier, dans sa diversité, est certainement l’arbre qui a toute sa place dans les projets agroforestiers.
Pour aller plus loin : Ch. BALTET, Les bonnes poires, Ed. Naturalia Publications, Turriers, 1994.


Luc Koedinger, co-fondateur de « Canopée, coopérative en Agroforesterie »

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